Excusez-moi, je suis en deuil

Ce qu’on aimerait pouvoir dire quand on est en deuil, sans avoir à se justifier.

Il y a des jours où j’aurais aimé porter un badge. Un mot discret, mais clair.

Quelque chose comme :
“Je suis en deuil.”

Non pas pour qu’on me plaigne, mais pour que les autres sachent que je traverse un deuil. Que je ne suis pas comme d’habitude. Que je fais ce que je peux, avec ce que je vis.

Pour qu’on comprenne pourquoi j’étais lente, absente, fatiguée, irritable. Que l’on comprenne pourquoi je n’avais pas l’énergie de répondre aux messages, de répondre à des invitations, de faire semblant d’aller bien ou de subir cet abruti devant moi à la caisse du supermarché qui se plaignait pour rien.

Parfois, je rêvais aussi d’un message pré-enregistré, prêt à envoyer à ceux qui appelaient et à qui je ne répondais pas. Un simple texto :

« Excuse-moi, je suis en deuil. Ce n’est pas contre toi. Ce n’est juste pas le moment. »

Le deuil, ce bouleversement intérieur qu’on ne voit pas

Vivre avec

Traverser un deuil, ce n’est pas juste “faire son deuil” comme on clôture un chapitre.
C’est vivre un bouleversement intérieur qui n’a rien de visible.
Et pourtant, autour, tout continue. On retourne au travail. On croise des collègues, des voisins. On nous demande comment ça va.

Mais le deuil ne se voit pas toujours.
Il n’y a pas de plâtre. Pas d’attelle. Pas de signe extérieur. Juste un cœur fracturé… et très peu de mots pour le dire.

C’est en découvrant le livre “Excusez-moi, je suis en deuil” que j’ai eu envie d’écrire cet article. Parce que ce titre, je l’ai souvent eu en tête. J’aurais voulu l’accrocher à mon sac, écrit sur ma joue, soufflé à l’oreille de ceux qui ne voyaient pas, qui ne comprenaient pas. Pour qu’on me laisse le droit de vivre mon deuil à ma façon, sans devoir l’expliquer, sans devoir me justifier.

Ce que j’aurais voulu dire

Dans la vie quotidienne

J’aurais voulu qu’on accepte davantage mes silences, mes yeux bouffis, ma mauvaise humeur, mes désistements de dernière minute, ma fatigue extrême. Je n’arrivais pas tout le temps à faire bonne figure. Je ne voulais pas être sociable parce qu’il fallait l’être. Il y avait simplement des moments où j’avais envie d’être seule. Respirer. Me reposer.

Ce n’était pas une excuse. Non, absolument pas. Mais c’était plutôt une explication de mon comportement, de ma distraction, de mes trous de mémoire, de mes oublis ou encore de mes moments de tristesse.

Mais comment dire simplement qu’on est en deuil dans un monde qui ne le voit pas ou qui n’a pas envie de le voir ?

Dans le monde professionnel

Etrangement, j’ai également eu des moments où j’avais envie de dire que j’étais en deuil lors d’entretiens d’embauche. Alors que je me débattais pour parler de mon expérience, de mes qualités et défauts, de mes plus beaux accomplissements, j’avais envie de le glisser à un moment donné dans l’échange.

Je savais que c’était pas idéal de mentionner cela. Je savais que ça allait peut-être mettre les gens mal à l’aise. Je sentais aussi que cela ne me rendait pas convaincante. Intérieurement, je sentais que j’étais en train de me débattre, que ce n’était pas le moment d’essayer de me vendre, mais pourtant je le faisais.

On me demandait combien d’enfants j’avais — et je ne savais plus quoi répondre sans mentir, ou sans avoir la gorge serrée et laisser place à un blanc intersidéral entre le recruteur et moi.

Dans mon livre, je parle notamment de ce retour au travail après le deuil, de cette absurdité de devoir “reprendre le cours des choses” comme si la douleur n’existait pas.

Invisibles, les endeuillés ?

Le deuil est un bouleversement intérieur profond… mais il ne se voit pas toujours.
Avant, on reconnaissait les personnes endeuillées : leurs habits noirs, leurs gestes mesurés, leur place dans le rituel social, leur distances et écarts volontaires, reconnus et acceptés par les autres.

Aujourd’hui, être en deuil, c’est souvent vivre quelque chose de silencieux. Intime. Caché.
Il n’y a plus de signes extérieurs. Et quand on ose en parler, cela gêne. Parce que la mort gêne. La tristesse dérange.

On nous demande d’être “forts”. D’avancer. De “faire notre deuil” comme si c’était une formalité.
Mais le bouleversement du deuil n’obéit pas à la politesse, ni à des horaires bien précis. Alors que tout semble rentré dans l’ordre après des funérailles, la personne endeuillée commence peut-être seulement à accuser le coup.

Alors j’avoue, pendant longtemps, j’ai eu envie de dire tout haut :

“Excusez-moi, je suis en deuil. »

Ce qui revenait un peu à dire: « Foutez-moi la paix”.

Ce que le deuil désorganise en silence

Les signes invisibles du deuil mais bien réels

Être en deuil, ce n’est pas seulement être triste. Voici quelques signes invisibles aux yeux des autres mais bien réels et qui peuvent réellement perturber et désorganiser votre quotidien :

  • des pensées envahissantes ou en boucle,
  • des absences, des oublis de rendez-vous,
  • des larmes inattendues qui coulent sans prévenir,
  • un sommeil perturbé,
  • de la fatigue extrême, de l’irritabilité,
  • des trous de mémoire ou des difficultés à se concentrer.

L’écart entre ce qu’on vit et ce qu’on attend de nous

Autant de signes invisibles que l’on porte avec soi, quand on traverse un deuil. C’est vivre avec une surcharge mentale constante, une fatigue émotionnelle qui ne dit pas son nom.

Et malgré cela, on vous demande de vous reprendre en main, de répondre à vos mails, d’assurer au travail, de sourire à table, d’être patient avec vos enfants.

Et si on osait dire : je suis en deuil ?

Dire qu’on est en deuil, c’est se donner le droit d’être différent·e pendant un temps. De ralentir. De ne pas tout gérer comme avant.

Un simple “excusez-moi, je suis en deuil”, c’est une demande de délicatesse.

Si vous traversez un deuil et que tout vous semble difficile, souvenez-vous que vous avez le droit de le dire. À votre rythme. Avec vos mots.

Parce que dire “je suis en deuil”, c’est simplement réclamer un peu d’espace. De douceur. Et d’empathie.

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Photo de Marie Brasseur, auteure

Je suis Marie Brasseur

J’écris sur le deuil pour mieux comprendre ce qu’il transforme en nous et autour de nous.

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