La vie professionnelle et le deuil : un sujet encore trop peu abordé
Si vous êtes en âge d’avoir une activité professionnelle, vous serez peut-être confronté un jour à cette réalité : retourner travailler alors que votre deuil ne fait que commencer. Dans ce moment de bouleversement, certains recommandent une reprise rapide pour « reprendre le rythme », tandis que d’autres prônent un temps de pause. Y a-t-il une bonne façon de faire pour concilier travail et deuil ?
Le retour au travail : entre refuge et épuisement
Se plonger dans le travail pour fuir sa douleur
Certaines personnes choisissent de se plonger dans leur travail, inconsciemment ou non, pour éviter de faire face à la perte. Le travail devient alors un repère, un refuge temporaire, une voie qui leur permet de s’accrocher à une forme de normalité.
Ne pas reprendre : quand tout semble dénué de sens
À l’inverse, d’autres sont incapables de retourner travailler. Le travail leur semble dérisoire ou hors de portée. Comment fournir une énergie qu’on ne possède plus ? Comment faire semblant quand l’intérieur est en miettes ?
Avant de reprendre le travail : se poser les bonnes questions
Il est essentiel de prendre un temps de réflexion :
- Quels sont vos besoins aujourd’hui ?
- Est-ce un besoin de routine ou de repos ?
- Est-ce une obligation financière ou un besoin de sens ?
L’écoute de soi est primordiale. Et la réponse peut varier d’un jour à l’autre.
Travailler en deuil : des chiffres qui parlent
En France, 80 % des salariés sont confrontés au deuil au cours de leur carrière. Et pourtant, ce sujet reste tabou, mal accompagné, voire ignoré. Derrière les open spaces et les réunions Zoom, des collègues souffrent en silence, avançant en pilote automatique.
Les signaux à ne pas ignorer
Travailler alors que l’on est en deuil peut générer des signaux à ne pas ignorer. En voici certains :
- Fatigue extrême
- Perte d’intérêt
- Irritabilité
- Baisse de performance
Ces symptômes sont des signaux d’alerte. Ne pas les écouter, c’est risquer de les laisser s’ancrer plus profondément.
Témoignage : ce que le travail ne voit pas toujours
“Je me suis entêtée à continuer…”
J’ai moi-même repris le travail après mes six fausses couches, contre l’avis de mon médecin qui me recommandait de faire une pause pour accuser le coup. Pour faire le deuil…
J’avais peur d’être un poids pour mes collègues et mon boss. Peur de ralentir mes projets. Mais je me suis perdue dans cette course. J’avançais à vide. Mon énergie fuyait. Mes relations en pâtissaient. Je débordais intérieurement. Et plus je voulais maîtriser, plus je perdais pied.
Yannick : la douleur dans un nouvel emploi
Yannick, lui, venait de décrocher un nouveau poste quand son fils est décédé. Il s’est retrouvé face à un dilemme : parler ou se taire ? “Je venais de perdre mon enfant, et on me parlait de la machine à café…” Ce décalage a été insoutenable. Il a dû enfiler un masque, se fondre dans un moule professionnel, alors que tout en lui hurlait.
Le tabou en entretien d’embauche
Après le décès de mon deuxième enfant, je recommençais à passer des entretiens. À la question “Combien avez-vous d’enfants ?”, je ne pouvais mentir. J’en avais deux. Mais l’un était décédé. Certaines réponses provoquaient des silences gênants, des regards fuyants, des enchaînements maladroits. Un jour, j’ai craqué. J’ai quitté un entretien. Et j’ai compris que tout le monde ne mérite pas de recevoir votre chagrin.
Faut-il parler de son deuil au travail ?
Certaines personnes ont besoin d’en parler une fois revenues au travail, à leur manière, à leur rythme, surtout si elles se sentent soutenues par certains collègues de confiance. Dans ces cas-là, mettre des mots peut aider à alléger un peu le poids intérieur et les personnes vous entourant dans le milieu professionnel peuvent avoir un rôle important.
Pour d’autres, éviter le sujet est une nécessité. Se protéger de certains. Se préserver. Faire comme si rien ne s’était passé. Le silence peut être une forme de survie. Il n’y a aucune obligation à parler de ce que l’on vit, surtout dans un cadre professionnel, où les liens ne sont pas toujours profonds ni choisis.
Tout dépend du contexte, des personnes, de votre ressenti. Mais sachez que vous n’avez pas à répondre à des questions posées par politesse, curiosité ou maladresse, surtout si elles viennent de collègues avec lesquels vous n’avez pas de lien de confiance.
Conseils pour mieux vivre une reprise du travail
Adapter son rythme et ses responsabilités temporairement
Voici quelques pistes pour allier reprise au travail et deuil :
- Discuter avec son employeur d’un aménagement temporaire (horaires réduits, responsabilités modifiées)
- Demander un congé supplémentaire
- Évaluer vos capacités jour après jour
- Ne pas se forcer pour « rentrer dans le moule »
Se faire accompagner pour retrouver du sens
L’accompagnement par un thérapeute ou un coach peut être un réel levier de reconstruction et peut vous aider à :
- Identifier vos vrais besoins
- Explorer vos émotions
- Adapter votre rythme et vos priorités
- Redonner du sens à votre vie professionnelle
Ce travail intérieur peut vous permettre de vous reconnecter à ce que vous êtes devenu.e après la perte.
Et après ? Repenser sa trajectoire professionnelle
Le deuil bouleverse. Mais il transforme aussi. Le croisement entre travail et deuil pousse parfois à redéfinir ses priorités, ses envies ou sa place au sein du monde professionnel.
Il peut nous amener à :
- Revoir nos priorités
- Réévaluer notre métier
- Apprécier plus les liens humains
- Vouloir donner plus de sens à notre quotidien
Pour certains, le travail devient un pilier lors d’un deuil. Pour d’autres, c’est le début d’un nouveau chapitre vers un nouveau choix, une nouvelle orientation, une transition professionnelle.
Conclusion
Respecter son propre rythme et ses besoins
Chaque personne vit le deuil différemment. Ne vous comparez pas. Écoutez-vous. Respectez vos limites. Ce que vous vivez est unique. Et si le deuil est une épreuve, il peut aussi être le point de départ d’un repositionnement intérieur et professionnel plus aligné avec qui vous êtes devenu.
Il n’existe pas de règle unique pour concilier travail et deuil. Ce que certains vivent comme un refuge, d’autres le perçoivent comme un fardeau. Et ce qui apaise l’un peut épuiser l’autre.
L’essentiel, c’est de rester à l’écoute de soi. De respecter son rythme, ses limites, ses besoins.
Naviguer entre vie professionnelle et deuil demande parfois des ajustements, un soutien, ou même un repositionnement en profondeur.
Dans ce déséquilibre, peut aussi naître une nouvelle forme d’alignement — plus juste, plus conscient, plus fidèle à ce que l’on est devenu depuis cette perte.



